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Présidence française du Conseil de l’Union européenne : priorités de la FNSEA

3 janvier 2022

Dans son rapport d’orientation de 2017 intitulé « les 60 ans de l’UE, nos propositions pour mieux d’Europe », la FNSEA appelait de ses vœux une Europe qui relève les nouveaux défis, plus harmonisée et solidaire, une Europe qui protège les acteurs économiques et s’affirme sur la scène internationale. La PAC est certes la principale politique européenne et le ciment historique de l’UE, mais la PAC n’est plus la seule politique qui concerne l’agriculture : la santé, l’environnement, le climat, l’énergie, le commerce, la concurrence, le marché intérieur… impactent tout autant la production agricole.

Au premier semestre 2022, la France exercera la présidence du Conseil de l’Union européenne (PFUE). Le Pacte vert sera probablement au cœur des discussions avec les Stratégies « de la Ferme à la Table », la stratégie « Biodiversité 2030 » et le plan d’action pour la neutralité carbone « Fit for 55 ». L’agriculture jouera un rôle important pour relever ces défis, à condition qu’il y ait davantage de cohérence dans les politiques menées par l’Union européenne.

En effet, l’agriculture est un secteur économique productif. Des orientations de réduction des intrants et des émissions de GES ne seront économiquement et socialement vertueuses, et donc réalisables, que si elles découlent d’une vraie stratégie de transition s’adossant notamment sur l’investissement, les innovations, l’amélioration de la rémunération des producteurs, et des politiques commerciales qui prennent en compte les distorsions de concurrence.

C’est pourquoi, face à de tels enjeux les études d’impact doivent faire partie du processus législatif européen, surtout si les objectifs sont chiffrés et même si ces derniers ne sont pas contraignants.

Nous comptons sur la PFUE pour porter une vision ambitieuse et stratégique pour l’agriculture européenne, en remettant en perspective les enjeux alimentaires et environnementaux. C’est une échéance importante et nos attentes sont fortes.

Intégrer la durabilité aux politiques commerciale et extérieure européennes

Les agriculteurs européens sont engagés depuis de longues années dans la réduction de leur empreinte carbone et la mise en œuvre de modes de production plus durables. La FNSEA demande la reconnaissance de leurs efforts et souligne la nécessité de leur donner les moyens de persévérer dans ce sens, pour préserver la compétitivité de l’agriculture européenne.

La mise en œuvre de la stratégie « de la Ferme à la Table » doit permettre aux agriculteurs de poursuivre leurs efforts tout en les sauvegardant d’une concurrence internationale déloyale. En effet, les engagements de la stratégie, qui restent à adopter à un niveau réaliste, se traduiront par des contraintes supplémentaires pour les producteurs européens, susceptibles de créer des distorsions de concurrence importantes avec les produits importés, qui ne répondraient pas aux mêmes normes de production.

Il est donc indispensable que la politique commerciale de l’Union intègre les objectifs européens de développement durable pour protéger les agriculteurs de la concurrence de certains pays tiers. C’est pourquoi, la mise en œuvre de cette nouvelle politique commerciale par la Commission doit se fonder sur des analyses d’impact préalables et transparentes.

1- Mettre en œuvre « l’autonomie stratégique ouverte » en accord avec l’objectif de « souveraineté alimentaire » de l’UE

Il convient de renforcer la capacité de l’UE à assurer sa sécurité alimentaire de manière indépendante. Cela ne signifie pas le repli sur soi de l’UE mais une politique commerciale fondée sur le concept « d’autonomie stratégique ouverte », c’est-à-dire une politique commerciale qui permet à l’UE de garder sa place de leader dans les échanges internationaux, et qui prend en compte les engagements de l’UE en faveur d’une production alimentaire durable, aux niveaux économique, social et environnemental, y compris la juste rémunération des agriculteurs.

A ce titre les accords commerciaux dommageables pour certaines productions doivent être suspendus (Mercosur) ou les négociations stoppées (Australie, Nouvelle-Zélande).

2- Avancer concrètement dans la mise en œuvre de clauses et de mesure miroirs

Les réglementations, spécifiques à certains produits (antibiotiques, produits phytosanitaires…), au niveau européen doivent s’imposer directement aux produits importés. Il faudra ainsi réviser à la baisse certaines LMR de produits interdits en Europe qui favorisent les importations (ex : lentilles canadiennes traitées au glyphosate, qui bénéficient d’une LMR relevée au titre d’une tolérance à l’importation).

Il s’agit également d’intégrer aux Accords de Libre-Echange (ALE) des clauses miroirs, sociales et environnementales pour des échanges commerciaux plus justes et loyaux.

Rappelons qu’un accord en trilogue sur la PAC engage les Etats membres et la Commission à travailler ce sujet. Nous serons vigilants à ce que ces mesures miroirs ne se transforment pas en « miroir aux alouettes » et que les contraintes de production ne s’abattent pas sur les agriculteurs européens avant le respect de ces engagements !

3- Intégrer l’agriculture au mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) ou a minima exclure le secteur des engrais

Dans le paquet législatif « Fit for 55 » ce mécanisme a pour objectif d’empêcher les fuites de carbone. La Commission a pour le moment décidé d’exclure l’agriculture et ce, alors que les facteurs de production indispensables (engrais azotés) à la continuité de l’activité agricole pourraient être soumis à cette taxe. Non seulement on diminuerait la compétitivité de l’agriculture européenne mais en plus, cela conduirait à une fuite de carbone du secteur agricole en favorisant les importations de produits agricoles et alimentaires à l’empreinte carbone supérieure.

4- L’Agriculture pilier du partenariat Afrique-Europe

L’agriculture doit être repositionnée au centre de ce partenariat, notamment dans le cadre du prochain Sommet Afrique-Europe, puisqu’elle est la première source de revenus et d’emplois des territoires ruraux en Afrique. Ainsi, ce partenariat doit faire des systèmes alimentaires durables une priorité, respecter l’exception agricole dans les négociations commerciales, et attribuer d’avantage d’aide au développement aux organisations paysannes africaines.

Allier compétitivité et durabilité de l’agriculture

Les agriculteurs européens sont les premiers producteurs de denrées alimentaires au monde. Ils fournissent des aliments de grande qualité et respectent les normes les plus strictes. Dans le futur, notre capacité à nourrir les citoyens européens impliquera nécessairement des interactions de plus en plus complexes entre les enjeux agronomiques, environnementaux et économiques. La protection des ressources naturelles, de la biodiversité, de la santé des consommateurs, du bien-être animal, la lutte contre le changement climatique, et la capacité d’adaptation de l’agriculture à ce changement, sont autant de défis qui ne pourront être relevés que si l’Union européenne accompagne avec pragmatisme les agriculteurs. Pour cela, l’Europe doit promouvoir les solutions innovantes qui permettent de fournir une alimentation sûre, abondante, nutritive et de grande qualité.

1- Poursuivre l’harmonisation sociale européenne en matière de salaire minimum et de travail détaché

Le coût du travail en France est l’une des problématiques qui pèsent sur la compétitivité de certains filières employeuses de main d’œuvre (fruit, légumes, viticulture…) car elles se trouvent en concurrence directe avec d’autres pays aux normes sociales moins élevées. C’est pourquoi la FNSEA porte une revendication d’harmonisation sociale au sein de l’Union Européenne afin d’avoir une équité en termes de règles de concurrence.

Concrètement nous recommandons l’adoption de la Directive pour des salaires minimaux adéquats dans l’UE. Ce texte n’envisage pas la création d’un salaire minimum européen, car c’est une compétence exclusive des Etats membres, néanmoins il vise à encourager une augmentation globale des salaires minimums nationaux jusqu’au seuil de 60 % du salaire médian brut et/ou de 50 % du salaire moyen brut dans chaque EM.

Par ailleurs, sur le travail détaché, nous recommandons la mise en place d’un correcteur de niveaux de protection sociale et de contributions sociales, afin que le coût du travail ne soit plus un enjeu de concurrence entre les différentes formes d’emploi.

2- Ne pas laisser les agriculteurs sans alternatives

Des objectifs de réduction prématurés et excessifs des facteurs de production comme les produits phytosanitaires, ou les engrais, remettraient en cause les accomplissements de l’agriculture européenne et renforceraient notre dépendance aux importations de pays tiers. Il convient certes de prendre des décisions qui s’appliquent à tous les Etats membres, mais davantage que des interdictions, l’agriculture européenne doit développer les méthodes alternatives basées sur l’agriculture de précision, la lutte intégrée contre les organismes nuisibles ou leur remplacement par des pratiques scientifiquement fondées, techniquement fiables et économiquement viables.

Par ailleurs, le suivi de la réduction des utilisations et des risques des produits phytosanitaires dans l’agriculture, devra se fonder sur des indicateurs harmonisés entre les Etats membres. Une révision de la directive sur l’utilisation durable des pesticides (Directive SUD) qui pourrait intervenir sous la PFUE, doit prendre en compte cette approche pragmatique et commune.

3- Faciliter l’accès à l’innovation

La présidence française doit se saisir de deux sujets prioritaires en termes d’innovation :

– L’édition génomique : Le rapport de la Commission européenne publié le 29 avril 2021 préconise un nouveau cadre réglementaire pour distinguer les nouvelles techniques génomiques (NGT) de celles propres aux OGM. Cette distinction protégera les agriculteurs des soubresauts règlementaires et judiciaires qui les privent d’outils efficaces sans prévoir d’alternatives économiquement viables. La présidence française doit ainsi contribuer à l’ouverture du processus de révision de la directive 2001/18 sur les OGM.

– Le numérique : Défendre la souveraineté sur les données du secteur agricole, et être en mesure de s’organiser pour conserver la maîtrise et la valeur, est un enjeu fort pour les agriculteurs. Ainsi, après l’adoption du « Data Governance Act » en 2021 qui donne un droit de regard aux agriculteurs sur l’utilisation de leurs données, les discussions se poursuivront en 2022 dans le cadre du « Data-Act » dans lequel il faudra prendre en compte les enjeux spécifiques agricoles, dont le partage de la valeur issue des données. Par ailleurs, la réflexion se poursuivra sur les enjeux d’un « Common European Agricultural Data Space » : consentement des agriculteurs, échanges des données, standardisation et interopérabilité…

4- Pour une approche durable du bien-être animal

La Commission s’est engagée, avec la stratégie « de la Ferme à la Table », à réviser la législation actuelle de l’UE sur le bien-être des animaux d’ici à 2023 et à examiner les possibilités concernant un étiquetage relatif au bien-être des animaux.

Le bien-être des animaux fait partie intégrante d’une production alimentaire durable. Il importe à cet effet que la PFUE veille à la conduite scientifique de cette évaluation, tout en garantissant une production durable, en particulier sur le plan économique, et des conditions de concurrence équitables pour les entreprises de l’UE sur le marché unique.

Mieux rémunérer les agriculteurs et mieux informer le consommateur

La stratégie « de la Ferme à la Table » doit aussi permettre une redistribution plus équitable de la valeur ajoutée dans la chaine de production en faveur des agriculteurs, lesquels se trouvent dans une position nettement défavorable, aussi bien par rapport aux autres acteurs de la chaîne alimentaire qu’au reste de l’économie. Les dispositifs européens d’information des consommateurs sur les denrées alimentaires, brutes ou transformées, en sont un instrument privilégié qui de plus, répond aux attentes des consommateurs, particulièrement renforcées par la crise sanitaire du CoVid19.

1- Adopter au niveau européen l’étiquetage obligatoire de l’origine

Le règlement INCO ne prévoit qu’un étiquetage facultatif de l’origine pour la grande majorité des denrées alimentaires et/ou de leurs ingrédients. Les consommateurs sont pourtant de plus en plus attentifs à l’origine des produits alimentaires qu’ils achètent. La décision récente du Conseil d’Etat qui a remis en cause l’expérimentation française relative au lait, à la suite de l’avis de la Cour de Justice de l’UE, rappelle la nécessité d’une action au niveau européen.

La stratégie « de la Ferme à la Table », et plus précisément la révision du règlement INCO, doivent être l’occasion d’une généralisation et d’une obligation de l’étiquetage de l’origine des denrées alimentaires, accompagnées des études d’impact adéquates qui pourraient être publiées sous la PFUE.

2- Faire évoluer le droit de la concurrence européen

L’organisation économique des agriculteurs et leur position dans la chaîne alimentaire méritent d’être renforcées. La relation entre droit de la concurrence et droit agricole doit être clarifiée au profit de ce dernier. D’un côté, il faut faciliter le regroupement de l’offre de produits agricoles, de l’autre, contrôler strictement la concentration à l’achat de la distribution. Il n’est plus acceptable que les regroupements à l’achat des entreprises de la distribution ne soient pas considérées comme des concentrations parce qu’ils permettent de faire baisser les prix.

Par ailleurs, le droit communautaire concernant les appels d’offres des marchés publics n’est plus adapté alors que la stratégie « de la Ferme à la Table » propose de privilégier un approvisionnement local. Un relèvement du seuil maximal réservé exclusivement aux achats de produits alimentaires locaux lors de la passation d’un marché public serait ainsi en cohérence avec les objectifs de la stratégie communautaire.

3- Des politiques de Qualité pragmatiques, à dimension économique

La Commission européenne prévoit une révision des systèmes d’indication géographique (IG) de l’UE des produits agricoles dans lesquels elle souhaite introduire

des critères de durabilité. La PFUE devra veiller à stabiliser une définition de cette durabilité qui prenne en compte la dimension économique.

De même, le travail mené au niveau UE sur l’étiquetage nutritionnel doit être non stigmatisant en particulier pour les produits de qualité. Il est important d’avoir une approche harmonisée entre les différents types d’étiquetage nutritionnel existants dans les Etats membres.

Enfin, la Politique de Promotion de l’UE, peut être rendue plus durable sans exclure ni stigmatiser des productions (viandes et vins) qui sont des fleurons de notre patrimoine alimentaire européen.

Promouvoir l’Agriculture comme solution contre le changement climatique

L’agriculture a ceci de spécifique qu’elle fait partie de la solution : elle constitue l’un des piliers de la neutralité carbone, par son rôle unique dans la captation de carbone via la photosynthèse, en particulier par son intervention sur les sols et l’ensemble des écosystèmes et participe au sein des territoires à la production d’énergies renouvelables. Il faut que l’UE donne à l’agriculture des objectifs ambitieux assortis de moyens adaptés.

1- Pour une politique ambitieuse en matière de carbone

La tarification du carbone sera le facteur clé de la transition. Le paquet législatif européen « Fit for 55 » propose une série de mesures dont la finalité est l’augmentation du prix du carbone. Une augmentation de la valeur du carbone pourra rendre rentables des pratiques agricoles favorables à la baisse d’émission et au stockage de carbone. C’est tout l’enjeu du Label Bas Carbone reconnu dans le secteur de l’élevage et des grandes cultures en France.

2- Veiller à la cohérence entre les stratégies européennes agricoles et climatiques

La nouvelle stratégie de l’UE en matière de protection des sols, la stratégie « Biodiversité 2030 », et les objectifs de restauration de la nature, adoptés ou en cours d’élaboration, doivent être en cohérence avec le rôle primordial du secteur des terres agricoles dans le stockage de carbone. Il s’agit non seulement de lutter contre l’artificialisation du foncier, enjeu majeur intégré dans le cadre législatif « Fit for 55 », mais aussi de promouvoir l’activité agricole productive comme étant l’une des clés du stockage de carbone, que ce soit par l’élevage ou les cultures. Le « carbon farming » est une initiative positive si elle permet à l’agriculture d’être durable y compris dans sa dimension productive.

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